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Quand le ski de randonnée brouille les pistes : ce qu’en disent les chercheurs

© Leïla Shahshahani

Monter à peaux de phoque sur une piste dédiée à la descente. Investir les espaces aménagés des stations. Intégrer les épreuves olympiques. Le ski de randonnée a-t-il perdu sa boussole et évolue-t-il à contre-sens ? Les nombreuses mutations traversant la discipline – tant dans ses formes de pratiques que dans le profil de ses adeptes – redessinent ses contours et font émerger de nouveaux enjeux. Il était grand temps qu’un regard interdisciplinaire de chercheurs et d’experts s’attarde sur le sujet.

Dominique Kreziak, chercheure au laboratoire Irege de l’Université Savoie-Mont-Blanc (USMB), a coordonné l’ouvrage Le ski de randonnée brouille les pistes, qui vient de paraître aux Éditions du Fournel, aux côtés de Véronique Reynier et Philippe Bourdeau du laboratoire Pacte (Université Grenoble Alpes) et de Jean-François Joye (centre de recherche en droit Antoine Favre – USMB).

Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de travaux de recherche conduits au sein du Labex ITTEM. Dominique Kreziak nous en dit un peu plus.

Labex ITTEM : Comment l’idée de réaliser cet ouvrage est-elle venue ?

Dominique Kreziak : Un projet de recherche démarre souvent par une surprise et des discussions entre chercheurs : nous observions un renouveau du ski de randonnée, à la fois dans ses formes, ses pratiquants, ses lieux de pratiques mais aussi son équipement, couplé à une augmentation visible du nombre de ses pratiquants : de quoi est-ce le signe ?

Nous voulions à la fois observer et documenter ces évolutions, mais aussi les interpréter à la lumière des évolutions plus globales de la société. Nous avons souhaité croiser nos expertises pour éclairer un sujet à la fois historique (le ski de randonnée est l’ancêtre des pratiques de glisse hivernale) et très contemporain, dans un contexte de nécessité de transition des territoires de montagne qui nous passionnent tous.

L’ouvrage compile nos travaux et nos réflexions, avec le regard complémentaire de témoins privilégiés de ces évolutions (gardien de refuge, guide, industriel…).

Labex ITTEM : Quelles sont les grandes thématiques abordées et qui sont les contributeurs de ce livre ?

Dominique Kreziak : Nous avons d’abord étudié les participants et des pratiques, à travers différentes enquêtes. Que font-ils ? Qui sont-ils ? Que peut-on dire de leur rapport à la nature, au risque ? Comment le ski de randonnée a-t-il évolué dans le temps ? Cette partie, coordonnée par Véronique Reynier, est plutôt centrée sur la sociologie et la psychosociologie du sport.

Mais les évolutions de pratiques interrogent aussi les espaces et les territoires concernés, du ski nomade aux refuges, du Queyras à la géolocalisation. C’est ce qu’a étudié l’équipe de géographes réunie autour de Philippe Bourdeau.

L’augmentation du nombre de pratiquants et la diversité des lieux de pratiques (des grands espaces naturels aux stations de sport d’hiver) a aussi des conséquences juridiques et réglementaires, scrutées par une équipe de juristes coordonnée par Jean-François Joye.

Enfin j’ai amené un point de vue issu des sciences de gestion sur l’augmentation des pratiques de ski de randonnée sur les domaines skiables. D’abord marginales, leur croissance a amené les stations à s’adapter, pour des raisons de sécurité d’abord puis de réflexion stratégique : la montée en skis en espaces aménagés ou sécurisés peut avoir de la valeur ! C’est le moment de repenser “l’extension du domaine de la pente” !

Labex ITTEM : L’évolution des pratiques du ski de randonnée est-elle une tendance récente ou le phénomène est-il progressif ?

Dominique Kreziak : Ce phénomène est progressif, mais a connu une accélération récente et il a gagné en visibilité. C’est encore en cours de changement, mais ces évolutions constituent des signaux faibles de changements du rapport à l’activité physique, à la connexion à la nature, de l’évolution des aménagements, des pratiques outdoor.

Ce sujet est à la fois un point d’entrée et un poste d’observation des évolutions des pratiques de loisir et de tourisme de montagne, qui s’inscrivent dans un cadre bien plus vaste de transition notamment environnementale. Au fil du projet, nous avons vu par exemple le nombre de parcours aménagés en station passer de 5 à près de 200 en France. Cela continue d’évoluer, il faudra peut-être écrire un tome 2 !

Labex ITTEM : Quel impact la crise du Covid et la fermeture des remontées mécaniques ont-ils eu sur l’évolution de cette pratique ? Peut-on dire si les effets observés seront amenés à s’inscrire dans une tendance longue ou s’il s’agissait juste d’une parenthèse ?

Dominique Kreziak : La crise du Covid a été l’occasion d’expérimenter d’autres usages des stations et de nombreuses personnes ont essayé le ski de randonnée lors de cet épisode, notamment en station. A ce titre c’est un effet d’accélération mais qui est en partie retombé. Certains sont revenus à leurs pratiques anciennes dès la crise passée et c’est un phénomène habituel, mais d’autres ont persisté. Ça a surtout permis de le rendre encore plus visible. Mais le phénomène existait avant la crise, et devrait persister, même si l’on reste sur des volumes faibles : cela ne va pas remplacer le ski alpin, et certainement pas d’un coup, notamment parce que le modèle économique actuel n’est pas adapté. Mais cela élargit le répertoire des pratiques à essayer, voire à adopter, au-delà du public traditionnel.

L’ouvrage peut être commandé sur le site des Éditions du Fournel.

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